LES CADRES DES UNIVERSITÉS DU TOGO BRISENT AUSSI LE SILENCE

Au regard de la situation politique tendue et critique que vit le Togo les Cadres composés de professeurs et "citoyens engagés"  des universités du Togo invitent Faure Gnassingbé à "prendre ses responsabilités devant l'Histoire" dans une lettre conjointe qu'ils ont rendue public le 18 Septembre.


Chers concitoyens,

DESMOND TUTU, un jour, a dit : « si vous êtes neutres dans les situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur ». Et Albert EINSTEIN avait déjà signalé que : « le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ».

Et plus près de nous, en 2013, le Père Pierre Marie Chanel AFFOGNON, après l’assassinat des écoliers à Dapaong, avait écrit une lettre ouverte au chef de l’Etat dans laquelle il disait : « un  pays  qui  tue  pour  un  oui  ou  un  non  ses  fils  ou  filles  s’oppose  gravement  au commandement de  Dieu… Aussi de tels actes sont-ils des sources de malédiction et pour les auteurs  et  pour  toute  la  société  togolaise. »  Une  interpellation  sans  effet  puisque  les  faits demeurent toujours. Ensuite en 2016 les évêques du Togo ont écrit une lettre pastorale qui a mis  le  doigt  sur  l’essentiel :  des  hommes  et  des  femmes,  êtres  politiques  par  nature,  ne peuvent pas tenir ensemble dans un pays sans la justice et la justice sociale. Dans leur analyse, ils ont affirmé avec courage que dans la juste compréhension du terme politique, une minorité  ne  peut  pas  s’accaparer  des  biens  de  toute  la  communauté  et  ils  ont  montré  que quand les institutions chargées de dire le droit dans un État ne disent pas le droit et le juste, toute la communauté est en danger.

En  2017,  ils  sont  revenus  sur  le  contenu  de  cette  lettre  et  les  églises  presbytériennes  et méthodistes du Togo ont écrit aussi une lettre invitant à la paix. Oui à la paix, mais elle ne se construit et ne se maintient que par la justice sociale.

Quand, nous citoyens (universitaires, intellectuels, hommes et femmes vivant au Togo), nous observons notre nation en ces périodes de tumulte, trois choses se dégagent :

➢   Un  profond  malaise  indiquant  l’aspiration  d’un  peuple  à  un  mieux-être.  Il  s’agit  en effet d’un peuple exaspéré par 50 ans de conduite dynastique du pouvoir.

➢   Un  régime  de  terreur :  une  répression  sauvage  de  toute  velléité  contestataire  sans aucun égard pour la population surtout pour  les femmes et enfants. Les militaires s’y prennent à plusieurs pour battre, humilier et meurtrir dans le plus profond de la chair, pourchassant à travers les ruelles de la cité et violant même la quiétude des domiciles

➢   Un  dévoilement  du  visage  de  l’autorité  politique  de  notre  pays.  Ce  dévoilement  est passé par le masque qui est tombé, révélant ainsi au monde le vrai visage du régime qui  sans  ambages  entrave  la  liberté  de  communication,  la  liberté  d’expression :  la connexion  internet,  les  réseaux  sociaux,  qui  sont  la  caractéristique  des  nations modernes, ont été coupés sur toute l’étendue du territoire.

Comment  accepter  la  justification  de  cette  coupure  intempestive  et  abusive  par  les thuriféraires du maintien de l’ordre établi qui osent affirmer cependant  que nous sommes dans un État de droit, dans un État moderne ?
Nous citoyens libres et conscients, nous n’imaginions pas pouvoir subir, des jours durant, la honte de voir notre pays restreindre autant la liberté de communiquer. Ce black-out complet propre aux régimes totalitaires s’est poursuivi du mardi 5 septembre au soir jusqu’au soir du dimanche 10 septembre sans égard pour ces milliers de citoyens qui utilisent ces outils pour leurs  activités  professionnelles,  sans  égard  pour  ces  citoyens  qui  utilisent  ces  canaux  pour rester en contact avec leurs familles, leurs amis. Faire de la recherche depuis quelques jours est  impossible.  Impossible  de  s’instruire,  ou  de  s’informer  sur  les  dernières  découvertes scientifiques et thérapeutiques. Impossible de s’arrimer à la marche en avant des nations du monde.  Est-ce  le  combat  contre  la  pauvreté  et  le  contenu  d’un  mandat  social ?  Est-ce  les indicateurs  de  l’édification  d’un  État  de  droit  démocratique  moderne ?   Qui  peut  rester indifférent  à  cette  violation   flagrante  des  libertés  fondamentales  de  l’être  humain ?  Notre silence ne serait-il pas assourdissant face à toutes ces formes de mépris de la dignité humaine et de violations de droits humains ?

Le peuple togolais a subi, il continue de subir une gestion oppressante du pouvoir. Ce peuple auquel  nous  appartenons  ne  peut  plus  être  assujetti  à  la  puissance  publique  dont  la  noble fonction est de créer des cadres d’accomplissement et de réalisation pour chacun et pour tous.

N’est-ce pas cela le rôle et l’importance d’un État ? Être un politique n’est-ce pas se mettre au service des autres concitoyens ? La grande mobilisation sur tout le territoire togolais par les forces  du  changement,  devenu  vital  et  indispensable  n’est-elle  pas  un  appel  à  la  raison  qui nous  caractérise  comme  être  humain  ayant  une  exigence  de  vérité,  de  justice  et  de  paix? 

Devant une telle mobilisation citoyenne fallait-il y répondre par une marche de soutien ?

La  remise  en  question  des  institutions  qui   ne  disent  plus  le  droit  et  le  juste  est  plus  que normale et c’est même un droit inaliénable de l’homme. Jean Jacques ROUSSEAU écrivait : « Il  est  incontestable,  et  c’est  la  maxime  fondamentale  de  tout  droit  politique,  que  les peuples se sont donnés des chefs pour défendre leur liberté et non pour les asservir. »

« Vivre avec les autres et pour les autres dans des instituions justes », n’est-ce pas le rôle des responsables  politiques ?  La  nation  togolaise  ne  peut  plus  se  construire  avec  un  régime autoritaire utilisant le droit comme instrument légal  quand cela l’arrange. Cicéron disait, bien avant la venue du Christ, qu’un vice ou un mal ne peut pas devenir une vertu ou un droit pour la simple raison que certains l’ont décidé et voté   ainsi « ce qu’il y a de plus insensé, c’est de croire que tout ce qui est réglé par les institutions ou les lois…est juste. »

Notre  vocation  de  citoyens,  conscients  de  la  gravité  de  la  situation  dans  laquelle  nous sommes,  nous oblige à cet appel et à cette prise de position dans l’espace public, car s’il est vrai  que  l’impunité  reste  un  danger  et  une  menace  pour  la  communauté  politique, l’indifférence  et  le  silence  constituent  aussi  une  réelle  menace  pour  toute  communauté politique. Car le mal naît et perdure du silence des hommes du bien et du savoir.

Chers concitoyens,  si les piliers de la politique, comme l’ont rappelé les Évêques du Togo, sont  la  justice,  la  responsabilité  et  la  vérité,  il  nous  est  apparu  légitime  et  urgent  de  nous prononcer  sur  les  problèmes  de  notre  pays  en  ayant  pour  seule  boussole  la  vérité,  car  elle seule  rend  libre  et  construit  une  communauté  dynamique,  vivante  et  plurielle.  

Nous  vous invitons donc à la méditation de cette phrase d’Alain TOURAINE  : «  La démocratie est le régime  où  la  majorité  reconnaît  les  droits  des  minorités  car  elle  accepte  que  la   majorité d’aujourd’hui puisse devenir minorité demain et être soumise à une loi qui représentera des intérêts différents des siens mais ne lui refusera pas l’exercice de ses droits fondamentaux ».

Au vu de tout ceci, nous invitons solennellement le  chef de l’État à prendre véritablement en compte,  et sans  plus  attendre,  les  aspirations  de  ses  concitoyens  et  surtout  à  prendre  ses responsabilités devant l’Histoire.

Fait à Lomé le 12 septembre 2017

Ont signé :

Des universitaires :  
  1. Prof. DOSSEH  Ekoué David
  2. FOLIKOUE Ekoué Roger
  3. Mme QUASHIE Maryse
  4. Prof. GOEH-AKUE N’buéké Adovi
  5. Prof. DECKON  H. Kuassi
  6. Prof. AKAKPO-NUMADO Komlatse
  7. WALLA Atchi
  8. JOHNSON Ansah A.
  9. ALEMDJRODO Richard
  10. KOUPOKPA Tikounbe
  11. ADJITA Shamsidine
  12. NAPAKOU Bantchi
  13. AGBOVI Komlan Kwasi
  14. KUAKUVI Magloire
  15. ANATE Hodabalo
  16. LAWSON H. N’sinto
  17. YABOURI Namiyote
  18. AKAKPO-NUMADO Sewa
  19. ATTIPOU Komla
  20. WATEBA Ihou Majesté
Des citoyens engagés :
  1. EKLU Mawuena
  2. AZIAGBLE Ekué
  3. AMEMOU Kokou Robert
  4. KLUVIA Matéli Seth
  5. Mme ATCHANA Abra Aïcha
  6. MAHOULE K. Spero
  7. Me KPANDE-ADJARE
  8. M  D’ALMEIDA Messan
  9. Abbé SANVEE Gustave
  10. D’ALMEIDA Amakoe Kouassi
  11. ATAMEKLO Kodjovi
  12. Mme AFANLON Afi Rebecca
  13. Mme MALEME Danmigou

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